Malika Ouahes sur les traces de Taos Amrouche
Son père s’appelle Ramdane At-Mansour, sa sœur Nadia At-Mansour. Le premier est universitaire, poète connu pour ses recueils : Isefra n at zik, Tiɣri, Agani… Nadia pour sa part est psychanalyste et chanteuse interprète. Elle s’est faite connaître par son album Chants soufis de Kabylie. Elle a également publié A la recherche de l’âme Interprétation d’un conte kabyle initiatique, une analyse pour le moins novatrice dans le champ de la littérature berbère qui applique les concepts psychanalytiques à un conte kabyle. C’est dire que les At-Mansour sont des agents culturels très impliqués dans le champ littéraire kabyle et qui montrent, si besoin est, qu’on peut être moderne tout en s’imprégnant du patrimoine traditionnel. ...
Quand on évolue dans pareil entourage familial, on ne peut qu’être tenté à son tour de goutter au plaisir des mots, du chant, de la musique…Malika Ouahes a non seulement reçu le flambeau mais elle le porte bien. Ceux et celles qui ont assisté le 20 mai passé à sa performance au Théâtre de la Vieille Grille ne sont pas repartis déçus. Tenus en haleine pendant une heure et demi, les spectateurs sont pour la plupart restés subjugués par le talent multiple d’une femme exceptionnelle.
Performance est le juste mot pour caractériser le travail de Malika Ouahes. A elle seule, elle a pu, le temps du spectacle, exécuter en solo des chants qui rappellent la Kabylie traditionnelle. Si ces chants sont aujourd’hui tombés en désuétude, c’est un pur bonheur de les retrouver sous une forme renouvelée. Leur exécution en solo leur donne une esthétique particulière. L’interprète passe avec une formidable aisance d’un chant d’amour (Siweḍ sslam i bu leɛyun) à un d’autres chants traitant d’autres thématiques sans que le spectateur étranger à la culture berbère ne se sente perdu. Les commentaires de Malika Ouahes tant sur les chants que sur leur genèse l’introduisent avec une passion inouïe dans le vif du sujet. Le superbe jeu de voix donne à l’oreille l’illusion d’une exécution collective des chants. C’est là une des facettes de la modernisation du chant traditionnel de le faire passer d’une sphère collective à une prise en charge individuelle. Les chants ne sont plus l’expression de préoccupations collectives comme dans la tradition mais comme le regard individuel sur une vie collective.
A côté des chants kabyles traditionnels, les spectateurs présents à la Vieille Grille ont eu droit à des compositions chantées en français par Malika Ouahes. On y retrouve la même quête que celle déjà existante dans les chants soufis de sa sœur Nadia At-Mansour : une quête mystique. Le spectateur n’oubliera pas cette chanson portant sur le miroir, motif littéraire par ailleurs très fréquent dans la littérature de manière générale. Le sujet, en proie à tous les malaises, cherche à tout prix le responsable autour de lui. Lorsqu’il s’assoit le soir venu devant son miroir, l’image qu’il lui renvoie n’est que la sienne propre, suggérant ainsi que souvent le mal dont nous souffrons est en nous, nous en sommes les responsables et il serait inutile de chercher la raison chercher chez les autres. Le sujet ne retrouve sa quiétude que lorsqu’il décide d’affronter son propre Moi dont souvent il se dérobe.
Le spectateur curieux de découvrir Malika Ouahes peut écouter son CD intitulé Chants traditionnels kabyles. Il contient quatorze (14) morceaux appartenant aux divers genres poétiques chantés traditionnels (azuzen, adekkeṛ, tibuɣarin…). Les textes sont extraits de l’ouvrage Isefra n at zik de Ramdane At-Mansour.
Devant l’hégémonie commerciale du non-stop que d’aucuns étrangement considèrent comme une aubaine pour la chanson kabyle (Nous ignorons pour notre part de quelle façon), des voix comme celle de Malika Ouahes sont des bouées de sauvetage. Une voix qui rappelle avec plaisir celle de Taos Amrouche. Malika Ouahes est visiblement sur ses traces. Pourvu qu’elle persévère !
Tifin
Les titres du CD:
Source: Revue Tifin